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Histoire et contre histoire d'avortement.

Dernière mise à jour : 17 juil. 2022

Le droit à disposer de soi.




Présentation des acteurs ;


A n’en point douter je suis une femme engourdie dans une société moderne aux privilèges sociaux égalitaires et confortables.

Mon réveil est lent, fastidieux, entrecoupé de replis, et d’une culpabilité bien feignante.

Car en réalité, il est assez facile de n’observer que le microcosme facilitant qui entoure notre nombril et occulter les aberrations du vaste monde par-delà les frontières que l’humain dessine au grès des lois, des dogmes qu’il s’invente et impose à tout un chacun, sous des excuses fallacieuses de droit, de bienséance, de protection…

Il n’y a rien de plus sournois que de se laisser tomber dans les acquis, dans le confort d’une vie occidentale ou un semblant de parité semble exister. C’est comme plonger voluptueusement dans un bain chaud, on est alors détendu, plus de trace de danger, plus à se battre.

Enfin pour ce que j’ai eu à me battre…

Et c’est là que la notion de culpabilité pointe le bout de son nez.

La culpabilité, je l’éprouve dès lors que je vois autour de moi des femmes investies à protéger la liberté à disposer de nos corps, œuvrant chaque jour pour ne pas sombrer dans cette léthargie si douillette.

Je l’entends résonner au travers des propos et des actes investis d’une amie. Chacune de nos conversations sont un électrochoc. Elle est un peu mon apporteur d’alerte quotidien. Elle me souffle chaque jour de ne pas me rendormir, et pour ce faire elle me dépeint la réalité cinglante et triste des conditions de vies de femmes aux quatre coins du monde. Elle le fait avec l’intelligence si fine des gens bienveillants et avertis qui ne s’endorment jamais. Une veilleuse…


Et ce jour-là elle me demande, comme si je pouvais lui répondre, comme si j’en avais le recul nécessaire, l’intelligence, l’élévation suffisante…

« Tu penses que le débat sur l’avortement devrait être ré ouvert ? »

Et comme pour elle-même elle me répond.

« Dans l’idée on pourrais débattre de tout, à la différence que l’approche autour de l’avortement est une question de philosophie et d’éthique et que le débat est corrompu car nous vivons à plus ou moins grandes échelles dans des sociétés inégalitaires et sous domination masculine. La finalité sera un retour en arrière et la perte de libertés serait dangereuses en termes de santé publique et de perte de droit fondamentaux pour les femmes. »

J’ai mis quelques semaines pour que cette phrase chemine en moi.

Le droit des femmes à disposer d’elle-même…

A quel moment avons-nous du commencer à nous battre pour obtenir le droit de disposer de nous-même. N’y a-t-il pas ne serait-ce que dans l’énoncé déjà un problème de sémantique, de liberté. N’y a-t-il pas déjà là une aberration…

Et pourtant nous en sommes là…

L’aberration atteint son paroxysme dès lors que l’on associe le droit des femmes, aux problématiques de minorités.

Comment dans l’esprit d’une civilisation la considération de la moitié de la population peut être perçue comme une problématique minoritaire ?



1er acte

L’eau tiède de la douche coule sur mon corps, d’une main distraite je frotte les dernières traces de savon sur mon ventre, mon index tombe innocemment sur une petite boursoufflure située juste sous mon nombril, quasiment invisible à l’œil nu. Le genre de petite cicatrice droite fine, que le temps a nacré.

Le genre de cicatrice qui modifie votre nombril autant que votre esprit.

Elle aura changé mon rapport à l’innocence, à l’égoïsme cette petite brèche.

Ectopique… Déni… deuxième trimestre…

Ces mots me reviennent avec un flot d’images. Il y a parfois des souvenirs dont le temps n’efface que partiellement les émotions qui les accompagnent. Elles sont plus douces mais bien présentes.

Le souvenir d’une jeune fille ressemblant plus à une enfant qu’à une femme, enfermée dans une fierté aussi grande que sa précarité, qui s’effondre et perd connaissance de douleur en plein centre commercial.

Le refus d’une ambulance, le trajet à pieds, seule, jusqu’à l’hôpital.

La consultation aux urgences honteuse, le nez sur ses baskets, la leçon de moral de l’interne ;

« On n’engorge pas les urgences pour des douleurs de règles ! »

Et puis l’arrivée du chef de clinique, son silence, l’échographie, son regard assassin à l’attention de l’interne…

Je ne me souviens pas des phrases, ni des mots, juste du son qui s’était échappé de l’appareil d’échographie. Un bruit de tambour, rapide, incisif. Des BCF dans le jargon.

(Battement Cardiaque Fœtal)

Je n’ai pas eu le temps de réaliser, la situation était critique, la grossesse avancée et mal placée suspendait mon existence. Cette petite vie qui s’était invitée en moi tenait la mienne entre ses mains. Nous étions liées toutes les deux.

Je n’ai pas eu à prendre de décision, je me suis laissée portée, par l’ignorance, la peur, la honte. Probablement aussi par le confort de n’avoir pas à réfléchir.

Mais alors se laisser porter n’épargne pas de vivre dans son corps tous les changements que cette maternité imprévue vient déposer en vous.

Le déni ne vous laissera pas passer à côté d’un puissant vague à l’âme quelques mois plus tard, jusqu’à ce que vous réalisiez que cette semaine-là, c’était le terme de cette grossesse avortée.

Avortement… Je ne l’avais jamais envisagé sous cet angle. Mais au regard des débats qui font rage, l’arrêt d’une grossesse qui présente des battements de cœur est considéré comme tel, tant pis si l’incubateur risque sa vie, tant pis si la matrice n’a pas choisi, si le géniteur est un violeur, ou juste si ce n’est pas le bon moment, ou que vous ne souhaitez pas d'enfant.

Alors, moi qui me sentait concernée de si loin.

Je deviens ce corps de femme que l’on observe comme un objet de culte.

La femme perd son statut d’être humain, elle devient un objet, et comme tous les objets elle ne possède plus aucun droit. Juste l’obligation de remplir une fonction. La fonction d’enfanter.

Cet objet est alors vénéré s’il remplit correctement sa fonction, et des lors qu’il ne la remplit plus ou qu’il se rebelle, il est diabolisé, puni, brisé, détruit…

Aujourd’hui je réalise… Ma chance.

Je réalise que cette intervention fut une épreuve. Aussi qu’elle fut une aubaine.

Elle me donnera le temps de grandir un peu avant de m’offrir la plus belle histoire de ma vie de maman.

Et comme la vie est douce avec moi, elle placera peu de temps après ce deuil, dans un utérus voisin, une merveilleuse petite plante dont la ressemblance en miroir est insolente.



2ème acte

La perfidie est comme l’eau. Elle s’infiltre dans la moindre brèche, le moindre interstice. Ses ravages sont insidieux et peuvent prendre des formes des plus inattendues.

Je fais souvent preuve d’une imagination assez riche, mais ce que je vais voir, entendre, comprendre ce jour me mettra devant le fait que j’aurais toujours un train de retard face au machiavélisme de cette société patriarcale et sacristique.

Dépassant même la dystopie féministe décrite dans la servante écarlate, la réalité qui prend forme sous mes yeux a un goût d’effroi.

Car pendant que je persistais à me croire à l’abri, à penser que tout était si loin de moi, dans le monde des femmes ont continué de mettre leurs vies en danger.

Et puis dans un coup de tonnerre la réalité est venue me terrasser, là à mes pieds par une belle journée d’été, sans crier gare…


Le rapport de grade qui m’est fait ce jour là est flou, décousue, incompréhensible.

Alors je m’agace, j’exige de la clarté, de comprendre.

Une césarienne à l’étranger il y a 10 jours ; Ou est l’enfant, à quel terme est-il né, est-il mort -vivant ?

Et elle… Une masse dans l’utérus ? Un choc septique, elle est seule, mais qui l’a déposée, et d’où vient-elle ?

L’anamnèse est confuse, et je sens rapidement que la confusion n’a rien à voir avec la prise en charge. C’est de la situation elle-même qu’il émane un trouble.

Je me présente dans un anglais précaire, cela semble être un point de détail pour ma patiente.

C’est une femme d’une trentaine d’année venant d’Asie, j’apprends au détour de notre conversation qu’elle est mariée. Que son époux travaille sur les chantiers de la prochaine coupe du monde. Que son passeport lui a été confisqué. Quant à elle son travail est vague, je comprends qu’elle doit souvent prendre l’avion avec son employeur qui semble aussi au final être son amant, mais qu’elle vit dans une très grande précarité.

Elle me confie également qu’elle a un enfant gardé par sa sœur dans son pays d’origine.

Elle se confie mais semble dépossédée de toute émotion, vidée de son intériorité, et pour cause.

Alors avec précaution je m’apprête à contrôler la cicatrice de sa césarienne. Je soulève le drap, la blouse et me trouve nez à nez avec ce qui ressemble plus à une entaille, une taillade, qu’à une cicatrice.

J’ai à cette instant la certitude d’être face à une mutilation. Cette cicatrice me renvoie de la violence, elle me fait marquer un temps d’arrêt, me lacère le ventre.

Elle a dû percevoir en moi l’impact. Elle se trémousse gênée dans son lit.

Je referme la blouse, le drap…


La mutilation visible sur sa peau n'était rien en regards de ce qu'ils s'étaient acharnés à abimer dans sa matrice.

Nous serons obligés de lui ôter son utérus ! Embolisation et hystérectomie. Elle ne pourra plus avoir d’autres enfants.

Car en vérité, l’intervention subit à l’étranger dans un "bâtiment ressemblant à un hôpital", diligentée par son « amant » sans son consentement et dont d’ailleurs elle ne garde que le souvenir d’un réveil vaseux, droguée, avait vocation à faire disparaitre les stigmates d’un adultère, pas à sauver un enfant ou une mère.

Elle ne saura jamais ce qu’il est advenu de son enfant.




Dernier acte,


Je ne vous dis pas tout de cette « contre histoire d’avortement ».

Juste ce qui vous sera nécessaire pour que s’allume en vous une petite veilleuse et que cette dernière fasse comme mon amie. Qu’elle vous tienne en éveil.

Cette femme c’est nous toutes. Elle est notre mère, notre sœur.

Elle est aussi votre mère, votre sœur, votre femme, compagne, amante messieurs !

Elle est celle qui nous a mis au monde, qui mettra au monde vos enfants


Alors aujourd’hui la question n’est pas de se demander s’il est judicieux d’ouvrir ou non le débat sur l’avortement.

Mais juste de voir qu'il s’est ouvert en même temps que l’argent, la religion, le pouvoir, la précarité se sont transformés en scalpels pour faire une utérotomie chez cette femme dans la plus glauque des violences.

Il s’est ouvert en même temps que l’on refusait à une femme d’avoir recourt à l’IVG.

Il s’est ouvert en même temps que l’on a mis la vie d’une femme en danger sous couvert des dogmes, des religions, des croyances.

Le débat ne s’est d’ailleurs probablement jamais fermé…

Refuser de voir serait une façon de se voiler la face, de refuser le combat, de nier que le danger avance.


CB




PS ;

J’apprends petit à petit que ma prise de position passe par l’écriture. Elle n’est peut-être pas l’outil le plus populaire, le plus accessible, le plus glamour…

Mais elle est ma boite à outil, et surtout elle est une chance. Celle de la liberté de faire vivre la voix des femmes. Celle de pouvoir s'exprimer sans crainte de représailles, de menace.

Je l’ouvre dans l’ombre et le silence d’une alcôve, et passe de longues heures à voir se dessiner un texte.

Elle n’efface pas franchement la culpabilité que j’éprouve à n’être pas plus voyante sur le terrain, mais il en va je pense du respect de ma personnalité et aussi d’accepter où se situe mon habileté.

De tout cœur j’espère être digne des éclaireurs de mon existence.

Avec amour.


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