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Les urgences de la maternité

Dernière mise à jour : 20 déc. 2022




L’exercice me fut demandé pour le journal de l’hôpital.

« Raconte-nous ton métier d’infirmière à la maternité…

« Mais épargne-nous que tu poses tes enfants à la crèche le matin à 6h » … « on voudrait vraiment un récit du métier d’infirmière »

Ça tombe bien je n’ai pas d’enfants nains…

Au départ j’ai été très excitée par le projet. Puis assez vite une ombre s’est profilée.

Avec ce sentiment nouveau d’avoir bu un sérum de vérité cette année, j’avais beau tenter de faire rentrer mon texte dans des cases de bienséance… c’était encore une fois ce même constat d’échec, les ronds ne rentrent définitivement pas dans des cubes !

Alors j’ai dû accepter l’évidence que l’écriture en moi ne s’astreint à aucun rythme, aucune obligation de résultat ni de contenu.

Qu’elle nécessite, elle aussi pour être authentique de se mettre à nu.

Et que sa portée n’est en aucun cas prévisible. Diantre…


Alors je vais tenter en quelques lignes de vous ouvrir les portes des urgences de la maternité. Vous faire passer de l’autre côté de la salle d’attente, du côté des blouses blanches.


Dès lors que j’évoque travailler à la maternité cela déclenche chez mon interlocuteur une grimace de béatitude accompagnée d’un « ohhhh c’est mignoooon ».

Réaction assez vite détrônée par l’anthologique phrase avec laquelle j’aurais pu devenir millionnaire ;

« Je ne sais pas comment tu fais, franchement moi je ne pourrais pas faire ton métier je suis beaucoup trop sensible ! »

Qui arrive assez rapidement dans la conversation, dès lors que je raconte la réalité de terrain.

Alors être infirmière aux urgences de la maternité c’est quoi ?


C’est apprendre à faire la différence entre un syndrome méditerranéen et un hémopéritoine.

Entendre que le niveau de décibels ne définit pas entièrement la nature vitale de la situation. Sauf pour une deuxième grossesse qui a rompu sa poche.

Que ta collègue sage-femme accouchera dans l’ascenseur entre le Rez-de-chaussée et le 0…

Pendant que toi tu tenteras vaillamment de tenir le fauteuil et la dame, écrasée contre la porte en alu. Ascenseur 1 Cécile 0


Développer les qualités olfactives d’un chien truffier…

Et identifier à l’odeur les affections vaginales.

Accepter de tirer à la courte paille pour retirer un tampon coincé.

Le faire toujours avec le sourire, de la douceur et beaucoup d’empathie.

Dédramatiser et dire que ce n’est pas la première fois, et que tant pis on ira prendre une douche nous aussi. Prendre un fou rire avec la patiente.


Reconnaitre que la petite dame toute discrète, toute pâle assise au fond de la salle d’attente, et qui a du sang jusque dans les chaussettes. Celle-là même qui dira à l’hôtesse d’accueil de ne pas s’inquiéter pour l’attente, qu’elle a le temps.

Bah c’est une urgence vitale.


Percevoir rapidement qu’il se cache un déni de plus de 2KG dans l’utérus du mignon petit couple d’instagrameur en vacances qui consulte ce matin car mademoiselle a eu des drôles de douleurs au ventre cette nuit.

Faire des nœuds avec son cerveau pour tenter de trouver les bons mots, dans le bon ordre, pour leur dire qu’ils vont être parents… Là… Maintenant

Du coup accepter de vivre avec eux toutes les étapes du deuil et de la naissance.

Tenir la main de la future maman et accepter qu’elle vous lacère le bras en repoussant du pied l’écran de l’échographie qui renvoie l’image d’une petite chipie qui agite sa main. « Je vous ai bien eu ! »

S’assoir à même le sol avec Monsieur, juste pour écouter et prêter son épaule.

Sourire intérieurement.

Tout va bien se passer…


Accueillir en ravalant sa colère et sa stupéfaction la dame qui consulte à 4h du matin parce qu’elle n’arrive pas à avaler un comprimer d’irfen et que la pose du stérilet la veille, et bien ça pique.

Lui faire avaler avec une compote en ayant pris soin de couper le médicament en deux.

Observer qu’elle a pris le temps de se coiffer, se maquiller, se parfumer avant de venir.

Croiser ses propres cernes dans le miroir de la salle, ravaler une larme.


Éduquer la jeune femme qui consulte chaque mois pour faire un test de grossesse dès le premier jour de retard de règles.

Lui expliquer que si grossesse il y a, ce sera beaucoup trop précoce pour visualiser quelque chose à l’échographie et que non elle ne repartira pas avec une photo de son « bébé » …


Encaisser l’irritation et l’agressivité d’une salle d’attente qui subit des heures d’attentes, par manque de médecins, de places, ou parce que les urgences vitales leur volent leur tour.

Être atterré de les voir ne pas comprendre.

Se voir reprocher de rire parfois, souvent.

Déjà que le dernier repas avalé remonte à la veille et que nous sommes à deux doigts du globe urinaire, il ne manquerait plus que la joie nous anime.

Du coup, chouchouter les vigiles, pour s’assurer de leurs interventions rapides et efficaces.


Envahir le bureau des internes, passer du temps avachis dans leur fauteuil en cuir, à décortiquer, discuter, négocier avec eux la prise en charge.

Décharger aussi, nos doutes, nos craintes, nos colères, notre tristesse.

Ouvrir leur porte comme une tornade en balançant un « j’ai besoin de vous, on a une urgence »


Répondre au téléphone, l’herpès de son doux surnom…

Et avoir des conversations irréelles a 3H30 du matin ;

« Bonjour, je vous appelle car ma femme est enceinte et elle vient de mettre des doigts dans son vagin et ses doigts sont mouillés… »

« Heuuuuu mais elle a rompu la poche, il y a de l’eau dans les draps ? »

« Non non juste ses doigts qui sont humides »

Ou encore

« Bonjour, je suis enceinte de 6 mois et je viens d’avoir un orgasme dans le tram, vous croyez que ça va blesser mon enfant ? »

… Je vous épargne ma réponse n’est-ce pas ?

Parfois aussi des coups de téléphone qui annoncent des drames, tel que « plus de mouvements fœtaux », « hémorragie massive », « viol ».

Quoi qu’il arrive répondre et être prêt…

Même quand le téléphone choisi de sonner pendant les 45 secondes que vous vous êtes octroyées pour aller vider votre vessie. Entendre au bout du fil l’interne ; « Tu es où ???? Je te cherche partout !!!» Les internes c’est un peu comme les enfants, même aux toilettes t’es pas tranquille.


Faire des concours de rapidité, avec les sages-femmes

« Tu fais le dossier d’entrée, je pose la VVP et le bilan. »

Se réjouir et rire, souvent avec la patiente, de nos connivences et défis.

Devenir élève sage-femme l’espace d’une consultation. Se faire assistante, apprendre à poser un monitoring, à y lire la ligne de base, les micro variabilités. Apprendre à faire la différence entre un spick et une décélération.

Et du coup débarquer en trombe, une fois de plus, dans le bureau des internes et balancer ;

« J’aimerais que tu viennes voir je crois qu’on a une décèle »

Se tromper parfois, apprendre encore, et puis un jour :

Partir en urgence 0.


Être infirmière aux urgences de la maternité c’est aussi ;

Avoir des amis féministes, qui adorent parler de vagins, de sexe, de sexualité. Avec qui on revisite les fondements même de la vie de couple, à jeun ou pas.

Avoir un entourage qui accepte vos récits peu ragoutants pendant les repas.

Offrir une éducation sexuelle qui va de la notion de consentement à ; « Je vous ai déjà parlé de la stimulation prostatique ? »

Écrire pour déposer ce que l’on ne pourra pas raconter et que l’on gardera pour soi.

Observer le monde qui nous entoure et avoir parfois une pointe d’amertume.

Avoir la conscience de la vie dans son sens le plus large, et une sensibilité très loin de celle d’un moellon, n’en déplaise à certains.

C’est parfois anxiogène, souvent dédramatisant, et c’est surtout un excellent contraceptif !

Mais c’est avant tout aimer les gens et le vivant.


CB


















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