Essai poétique & érotique 2
- cecileboffy
- 6 janv. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 janv. 2022

J’observe avec délice le soulèvement discret de sa cage thoracique. J’ai toujours trouvé ce mouvement d’une délicatesse inouïe chez une femme. Observer cette cage est un ravissement. Elle se pose avec élégance à la manière de doigts amoureux protégeant avec tendresse les aspects les plus précieux et pulsatiles de l’être, les poumons, le cœur.
Contenant les vagues de la respiration, comme la terre contient les ressacs de l’océan.
Elle m’a instantanément ému.
Elle a la grâce de ces femmes qui ont le talent de porter en elles à la fois une certaine rigidité et une souplesse infinie. La tenue du corps est à la limite de la raideur, à la frontière de l’austérité, et le paradoxe s’installe dès lors qu’elle se meut. Une fluidité, une rondeur des gestes accroche le regard, ensorcèle. Une façon d’aller au bout du mouvement, chaque élan de sa poitrine nourrit un geste infime qui fait tressauter le cœur.
Je ne saurais vous dire si elle est belle. Je préfère vous parler de ce qu’elle anime en moi. De ce que me procure la vision de son visage fin dont les contours tendent à se faner imperceptiblement, de ces yeux d’un bleu de glacier qui vous donnent le sentiment à chaque regard que votre être pourrait glisser dans une anfractuosité, de ses hanches larges à la cambrure que l’on croirait avoir été taillée pour des paumes masculines.
Ce genre de femme pour laquelle on peut percevoir la folie libératrice de l’ordalie.
Car à bien l’observer, on sait alors que jamais elle ne sera nôtre. Elle appartient à un autre monde, un autre univers, céleste.
Je ne connais pas son véritable prénom, je ne connais rien de sa vie. J’aime ne rien savoir, car alors j’imagine, j’observe, je fantasme, je tente de percer les mystères de cette ensorceleuse à chacune de mes visites dans cette antre nocturne de la musique.
Ce soir, il y a quelque chose de différent en elle. Ses gestes sont imperceptiblement plus lents, son attention semble embuée d’un voile, sa carnation déjà si pâle est diaphane, son regard à l’accoutumée si perçant est perdu dans les limbes de son âme. Elle regarde mais ne voit pas.
C’est la première fois que j’observe tant de mélancolie en elle. Elle ajoute une parure énigmatique supplémentaire que je me délecte de vouloir lui ôter.
Alors qu’elle s’installe sur le tabouret de satin rouge, je sais que la mélodie de ce soir sera différente, je sais qu’elle offrira une carte aux trésors qui me rapprochera d’elle.
Elle pousse de son index une mèche de cheveux imaginaire sur sa nuque, reste quelques secondes immobiles devant son piano, les mains posées à plat sur ses jambes graciles, comme saisie par l’instant.
Depuis un souffle profond, intime, les premières notes s’échappent et dansent pendant de longues minutes savoureuses avant de mourir sur ces dernières phrases ;
"Je te laisserai des mots
En-dessous de ta porte
En-dessous de tes murs qui chantent
Tout près de la place où tes pieds passent
Cachés dans les trous de ton divan
Et quand tu es seul pendant un instant
Ramasse-moi
Quand tu voudras
Embrasse-moi
Quand tu voudras
Ramasse-moi
Quand tu voudras"
(Patrick Watson 2010)
Sa musique s'arrête, elle reste un instant sidérée devant les touches de nacre, puis ramenée par les quelques applaudissements, elle ramasse ses partitions. Elle ne semble pas prêter attention à l'admiration que la salle lui renvoie, elle feint un sourire en se levant avant de descendre, absente, les quelques marches de la scène.
Je l'observe du coin du bar. Il lui faudra quelques minutes pour remettre un masque sur son visage.
Une apparence enjoué, un semblant de rose à ses joues, facilité par quelques phrases joviales échangées avec la jeune serveuse pour laquelle elle semble avoir une tendresse particulière. Elle parait s’animer un peu.
C’est ce moment précis que mon corps choisit pour l’approcher, pour accrocher son attention. Lui offrir un verre, échanger quelques mots.
Elle sourit discrètement, accepte contre toute attente, marquant malgré elle un infime mouvement de recul.
La conversation, les sourires timides, l’invitation tacite à descendre dans sa loge, tout semble onirique.
Elle parle peu, alors je l’embrasse, elle me laisse faire, me laissant découvrir une langue timide mais langoureuse et déliée. Son souffle est tiède
Sa peau est fraiche et si délicate, mais c’est moi qui tremble. D’émotion, de peur, comme un adolescent qui vit sa première fois. C’est un peu ça, je vis ma première fois. Mes gestes sont malhabiles, saccadés, abrupts. Mais qu’importe, son regard ne me voit pas.
Je pince entre mon pouce et mon index la glissière de sa robe fourreau de satin, l’abaisse, la délivrant de ce cocon bleuté.
Dans un mouvement de pudeur et de surprise elle colle contre moi sa poitrine nue et son front.
Elle gagne à tous les coups au jeu du toucher-couler, elle a déjà englouti ma flotte…
Je la garde quelques secondes contre moi, gémissant d’impatience
Ses yeux se ferment, elle se replie en elle sur la tempête qui l’anime. Je ne serai qu’un pâle figurant, un ersatz d’homme, qui volera quelques instants son intimité, mais qui jamais ne percera vraiment ses mystères.
Comme si je restais à la porte de sa demeure, n’ayant droit qu’à la façade du palais, apercevant quelques bribes de ses secrets au travers des rares fenêtres non condamnées.
À la faveur de ces gestes, de son corps, tel un mendiant je me repais de ces quelques miettes.
Je découvre alors ce corps de femme, cette peau fine parsemée de grains de café, ses seins subissant la gravité des années peut-être même celle de la maternité.
Mes mains caressent cette poitrine, lourde et douce, j’embrasse les mamelons engendrant un thélotisme. Divin, excitant, renforçant mon érection.
Mes mains parcourent son ventre, je m’attarde sur les plis doux autour de son nombril, je pétris cette voile qui faseye sous mes doigts. Je tombe à genoux devant son intimité, surveille, fébrile, son approbation, elle se cambre délicieusement en réponse à ma muette question. Je fais glisser sa culotte le long de ses cuisses, découvre son sexe fourni et charnu. Je pénètre d’un doigt avec délicatesse l’intérieur de son antre, je l’embrasse goulûment, plongeant ma langue dans cette cavité humide, elle gémit mouillant mon visage. Je suis au bord de la jouissance.
J’aimerais l’allonger à même le sol et me fondre en elle, mais l’espace exigu réduit mes possibles. Alors je me redresse
Elle tourne sur elle-même dans un mouvement délicat et me laisse admirer sa face cachée, sa nuque, son dos, sa cambrure, ses fesses…
Je frôle de mes doigts ses fesses d’albâtre, glisse une main ferme sur son ventre et de l’autre j’empoigne mon sexe pour la pénétrer. Il n’y a plus de douceur en moi, je la prends sans ménagement, avec force et détermination. Elle jouit avec violence, me donnant l’autorisation de me rendre à mon tour.
Une larme perle du coin de ses paupières fermées. Cette goutte d’eau océane débordant des profondeurs insondées de son cœur.
J’aimerais avoir déposé en elle un peu de chaleur, un peu de douceur, ma chaleur ne la réchauffe pas, ma douceur ne la berce pas. Je sais que je ne suis qu’un intrigant profitant d’une brèche en elle, profitant de la voir s’arrimer à mon corps encore quelques instants.
Alors je me console en me disant que l’acte d’amour a ses propres règles, faisant fi de toutes logiques établies, intégrant autant d’origine, de but, et de destination qu’il lui chante. Nous menant dans des contrées inconnues, nouant et dénouant des liens que nul n’aurait soupçonnés. Intimant à chacun de lever son regard au loin et d’accepter de se laisser voguer au gré d’un fleuve dont on ignore la destination.
Alors j’ignore ce qu’il adviendra de nous.
Nous, oui, car l’espace d’un instant, si infime soit-il, il y eut l’ouverture du champ des possibles ; un nous.
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