Flocons d'Avril I, II, III
- cecileboffy
- 2 avr. 2022
- 17 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 avr. 2022

Elle trébuchât sur le perron, embuée dans les vapeurs d’alcool de cette soirée et chuchota comme pour elle-même.
« Oh doucement tu vas le réveiller. T’es pas discrète comme fille, déjà que tu fais des dingueries alors ce serait cool que tu te taises. »
Probablement attiré par sa voix, Popeye choisi cet instant pour pointer le bout de son museau
Mais qu’est-ce que tu fous dehors au milieu de la nuit, toi ? demanda-t-elle au félin.
Vas-y, ne me réponds surtout pas, l’invective-t- elle !
« Par contre c’est mort, tu ne rentres pas, ça va lui faire trop de surprises. »
Elle le regarde avec un air de défiance en feulant tel un gosse qui imite un tigre.
Popeye visiblement habitué à la jeune femme se frotte contre ses jambes en ronronnant, peu impressionné par ce mini tigre au bonnet rose et aux gants assortis.
Elle trifouille maladroitement dans le pot de fleurs situé à gauche de l’entrée
Elle sait que le trousseau de secours se trouve toujours ici.
La clef pour les âmes égarées, les potes bourrées, les neveux qui veulent faire pipi et boire un chocolat chaud entre deux descentes de skis.
Ce soir il est pour elle ce kit de survie.
Elle glisse la clef dans la serrure en se dandinant d’un pied sur l’autre, une sorte de danse du seuil pour conjurer l’éventualité qu’un autre passe ne bloque l’accès à son paradis.
Le cliquetis du barillet annonce l’ouverture, une petite victoire
Elle pousse la porte délicatement et la referme en tirant la langue à l’attention de Popeye qui tentait de se frayer un chemin.
Une fois à l’intérieur elle quitte ses chaussures de montagnes pleines de neige à la manière des enfants écrasant le contrefort de sa pointe de pied et jette simultanément bonnet, gants, veste, pull, le tout jonchant maintenant le parquet, sans se soucier de la flaque dans lequel le fatras ne tardera pas de baigner.
Le chalet est dans la pénombre, seul les rayons de la lune éclairent le salon par l’immense baie vitrée. L’âtre quant à lui diffuse une douce chaleur et renvoie le halo rougeoyant des cendres restant de la flambée du soir.
Sa tête lui tourne toujours et elle constate avec ravissement qu’elle n’a aucunement perdu en route sa détermination, elle a même réussi à faire taire les agaçantes petites voix angéliques qui lui soufflaient que c’était une très très mauvaise idée de s’inviter en pleine nuit.
Elle pouffe en empruntant les marches en bois de l’escalier.
Pose un doigt sur sa bouche comme pour s’imposer le silence. Elle est au bord du fou rire.
Oscillant entre vapeur d’alcool et un puissant désir de le rejoindre, de se blottir contre lui.
Pas une seconde elle n’a fait appel à sa raison ce soir. Pas une seconde il ne lui est venu à l’esprit qu’elle était partie de ce même chalet quelques semaines plus tôt au terme d’une discussion des plus houleuses.
Nan la seule volonté qui martelait son esprit était de retrouver la sensation que lui procure la proximité de cet homme. S’abandonner à son contact. Emmêler ses doigts dans ses cheveux, se saoûler de son odeur, se confondre dans la chaleur de son corps, dans la densité de son regard, dans la tendresse de ses gestes.
Elle n’avait qu’à fermer les yeux pour connecter avec ce souvenir.
Pour ne faire aucun bruit elle se déshabille devant la porte, et c’est au tour de son pantalon, son t-shirt et son soutien- gorge de joncher le sol. Elle gardera sa culotte et ses chaussettes
Elle dodeline de la tête en pensant qu’il lui reste un peu de pudeur tout de même.
Arrivée devant le chambranle de la porte de la chambre elle marque un temps d’arrêt
L’entrebâillement de la porte ouvre une brèche dans son plan infaillible
Et s’il n’était pas seul, et s’il me jetait à la porte.
Elle bloque un instant, s’observe sur le pas de porte, à moitié nue, grelottante, avec ses chaussettes de laine qui tire bouchonnent et sa culotte en coton.
Elle passe la tête par la porte de la chambre, patiente quelques secondes habituant ses yeux à la pénombre et tentant de contenir les bruits de sa respiration et de son cœur qui tambourine dans sa poitrine si fort qu’elle vacille de peur de le réveiller
Lui est seul ….
Il semble dormir, il est paisible sur le dos, les bras relevés au-dessus de l’oreiller. Un homme sans souci, sans peur pense-t- elle.
Être allez si loin et rebrousser chemin ne lui ressemble pas.
Alors elle s’approche du lit soulève le bord de la couette délicatement et se glisse millimètre par millimètre sous le duvet chaud. C’est à ce moment qu’elle se rend compte que son corps est secoué de tremblement. La peur, le froid tout se mêle.
Elle se concentre pour stopper cette agitation incontrôlable. Il lui faudra de longues minutes de concentration, de peur de le réveiller.
Elle se glisse langoureusement contre lui. En une fraction de seconde ses tremblements se calment. Comme prise dans un tourbillon de sensations elle se cale contre lui. Le mélange d’alcool, de chaleur, du contact de ce corps tant désiré, son odeur, sa chaleur.
Elle s’enfonce voluptueusement au cœur de ses sensations.
Elle ne pense pas au lendemain, pas même à la seconde d’après.
Elle se retrouve contre cet homme qui suscite en elle tant de sentiments contradictoires, qui met en elle tant de doutes et qui ouvre tant de faille.
Emportée rapidement par le sommeil.
Il avait entendu, la clef dans la porte, les bottes tomber lourdement au sol. Habitué à ce que sa maison soit le refuge des potes qui ont trop picolé ou qui cherchent un abri en cas de tempête de neige. Il n’avait pas pris la peine de se lever. Jusqu’à ce qu’il entende des chuchotements qui avait plus l’air d’appartenir à un lutin qu’à un de ces potes. Alors il avait tendu l’oreille et passé la tête en dehors de sa chambre. Très vite les murmures lui sont parvenus, un rire étouffé, cette petite voix…
Tu parles d’un lutin, c’était-il dit, un gnome oui, tout au plus. Cette créature minuscule suscitait en lui un flot de sentiments contraires.
Elle était aussi fluette que brusque. Un contraste saisissant entre son gabarit frêle et une agitation qui lui donnait le tournis. Lui qui aimait le calme ne comprenait pas ce qu’il trouvait à cet électron libre.
Et puis c’était elle qui avait pris la tangente sur un accès de colère.
Sidéré par la situation, il prit le parti de ne pas régir et de retourner se coucher pensant qu’il la retrouverait échouée sur le canapé au petit matin.
Il était partagé entre une rage folle et une envie de rire devant tant de détermination.
Et surtout la curiosité de savoir ce qu’elle faisait là en pleine nuit et qu’est ce qui l’avait poussé à venir se perdre dans sa forêt. A priori l’alcool a du passablement l’aider se dit-il en souriant. Mais la sidération atteint son paroxysme quand il l’entendit monter les marches menant à l’étage.
Il entend sa respiration régulière s’installer. Elle s’est endormie en une fraction de seconde, collant son front contre son torse à la manière d’un petit animal, ses mains glacées repliées contre sa poitrine.
Il ne bouge pas, l’observe, réfléchit.
Il sait que cette tornade nocturne vient de le priver des dernières heures de sommeil pour cette nuit. Un peu à la manière d’un ouragan, elle semble avoir dévasté son paysage depuis qu’elle a fait irruption dans son existence.
Il ne perçoit que vaguement les contours de son visage.
Machinalement il pose une main sur sa tête, l’attire à lui embrassant son épaule et chuchotant quelques mots tendres dont elle ne se souviendra jamais.
Il était juste saisi par l’instant, aspiré dans une brèche ouverte dans l’espace-temps.
Ces minutes de silence, concurrençaient leurs folles nuits d’amour, leurs intenses échanges, leurs disputes clastiques.
Elles faisaient partie de ces moments de grâce dont on garde jalousement le souvenir de peur qu’il nous soit volé ou abimé.
Qui lui rappelait aussi combien elle le rendait vulnérable.
Il place sa main droite sur les poings de la jeune fille, comme pour les réchauffer plus vite, la pulpe de son index se pose alors sur les côtes frêles du petit monstre. Il sent pulser les battements de son cœur. Il se sent privilégié d’avoir cette échange intime avec cette part-ci de son être. Il est ému de sentir battre son cœur sous ses doigts.
Il est alors sorti de ses pensées par un petit bruit animal proche du renâclement. Il rit discrètement. Elle a définitivement beaucoup trop arrosé la soirée.
A suivre....

II
Le soleil a déjà passé la montagne et baigne la vallée de sa lumière chatoyante quand elle ouvre un œil. Quelques rayons parviennent à se frayer un chemin entre les persiennes de la chambre et se posent sur son visage. Une poignée de secondes lui est nécessaire pour rassembler ses esprits et se souvenir comment elle a atterri ici.
Elle se tourne brusquement dans le lit pour le trouver et tombe nez à nez avec Popeye qui s’était lové contre son dos...
Elle retire le coussin de dessous sa tête et le jette rageuse à l’attention du félin qui échappe un miaulement de surprise.
Le cœur serré elle attrape l’oreiller à sa droite et le sert contre elle en prenant une ample inspiration, comme si elle voulait s’imprégner fort de l’odeur qu’il renferme. Comme si elle voulait emprisonner en elle chaque particule abandonnée par son propriétaire.
Roulée en boule elle s’abandonne la tête dans le coussin et observe le silence dans lequel le chalet est plongé. Aucun son ne lui parvient.
La journée est magnifique, elle sait qu’il est dans la montagne depuis le petit jour.
Une pensée extravagante traverse son esprit, à la manière d’un élan d’espoir stupide. Peut-être prépare t’il le café, un petit déjeuner.
Cette seule pensée lui décroche un sourire. S’il avait été de cette trempe d’homme elle ne l’aurait probablement même pas regardé.
Elle aimait en lui ses paradoxes, son indépendance, ses confrontations, sa façon unique de lui mettre un stop, des limites.
Princesse tu vas devoir ramasser tes petites affaires, ta mauvaise humeur et rentrer à pied dans ton palais marmonne-t- elle.
Elle se lève laissant derrière elle à regret le lit défait, ses espoirs perdus de rétablir une communication un lien, un peu de dignité aussi sans doute.
Ses affaires ne se trouvent plus au pied de la porte mais étendus devant la cheminée. Sa passion pour l’ordre, elle esquisse un sourire encore.
Elle fouille avec frénésie dans les poches de sa veste à la recherche de son téléphone. Pas de message... Ses épaules s’abaissent imperceptiblement. Son attitude la nuit passée n’était peut-être pas la meilleure à adopter.
L’idée de redescendre à pied chez elle au fond de la vallée ne l’enchante guère. Mais elle sait qu’elle a la journée devant elle, et aucune envie d’avoir à justifier sa présence ici, pas plus que d’entendre des commentaires désobligeants.
Il ne rentrera pas avant la fin de journée, alors elle décide de se faire couler un café avant d’affronter le froid de cette journée.
Le bruit du percolateur emplit l’espace, il officie comme une roue du temps et la ramène dans le chalet quelques mois plus tôt. Elle chasse ce souvenir comme on chasse un insecte. Elle récupère sa tasse brulante et se glisse dans l’angle du canapé en se hissant telle une équilibriste sur le dossier, son café dans la main droite, son bras gauche en balancier, et se glisse sous une couverture se drapant d’une mauvaise grâce et d’une moue boudeuse.
Ce soir les températures négatives viennent figer une journée remplie d’amertume. Malgré cela elle sort pieds nus par la porte arrière de sa maison une tasse de thé brulante entre les mains, un air maussade toujours clairement affiché sur son visage.
Elle enfonce ses orteils dans le sol immaculé du jardin, une manière de ressentir dans sa chair une sensation plus désagréable encore que celle qui enchâsse sa poitrine depuis quelques temps.
Rien n’y fait. Elle râle, la gorge nouée.
Elle porte son pouce et son index à sa bouche et d’un souffle elle laisse échapper un sifflement strident à l’attention de son chien qui a profité de la porte entrouverte pour s’échapper. Le cabot rapplique immédiatement les oreilles basses, la queue entre les jambes, conscient que sa maitresse n’est pas d’humeur pour une balade nocturne.
Elle reste dehors quelques instants, lève les yeux, observe le ciel partiellement dégagé et pointe son poing en l’air d’un geste de défiance.
Menacer l’univers, c’est une idée assez fumante en vrai…
La neige glacée sous ses pieds finit par lui tirer une larme. Pas à cause du froid, non au contraire. C’est juste le constat amer qu’elle pourrait mourir de froid cette nuit, rien n’empêchera son cœur de pleurnicher.
Sa macheoire se crispe de rage, elle ravale un sanglot. Le chien est rentré, elle claque la porte avec violence, traverse la cuisine sans se soucier des traces humides laissée sur le sol.
Ce point d’honneur à s’obstiner dans sa mauvaise grâce.
« C’est dommage cette colère sur ton visage, tu es si jolie quand tu souris. »
« Arghhhh », elle lâche un cri
Mais qu’est-ce que tu fous encore dans ma tête toi. Ce n’est pas possible.
Elle voudrait éteindre cette voix, éteindre ce désir qui irradie en elle et qui s’est vu contrarié, frustré. Elle échappe quelques instants à la réalité pour plonger dans le souvenir de ces yeux. Ressent dans son corps sa présence. Il possède le talent rare et innocent, par son simple regard de la poser, de la rendre plus dense, plus présente à la vie. Le vide de lui la fait de nouveau fleureter avec cette partie en elle si volatile, si éthérée. Elle se sent esseulée, submergée par une vague de froid. L’absence de ses mains pour contenir son corps, pour en faire les contours, la visiter, de ces paumes chaudes et larges, taillées à la forme de ses hanches qui savaient l’attirer à lui, la faire céder.
Elle s’immobilise devant le plan de travail de sa cuisine, prend une grande inspiration et décide qu’il est temps de changer l’atmosphère de cette journée.
Elle s’affaire pour démarrer le piano en fonte émaillée, un vieux Lacornu durement chiné. Elle soulève la plaque de fonte à l’aide d’une tringle et y insère quelques buches et du papier journal. Habituée aux particularités du poêle, le feu ne tarde pas à démarrer.
Puis elle allume l’enceinte et rapidement s’échappe la voix cristalline et sensuelle de Tori Amos qu’elle accompagne en se trémoussant ;
« Hello, Mr. Zebra
Can I have your sweater?
Cause it's cold, cold, cold … »
Oublier, elle sait si bien faire d’habitude. Claquer des portes, laisser derrière elle, ne pas se retourner. Surtout ne jamais se retourner.
L’eau brulante coule dans la baignoire sabot, encore une vieillerie chinée. Cette passion pour les vieilles choses, à priori c’est une vérité dans bien des domaines se dit-elle en ôtant ses sous-vêtements.
Elle passe une main distraite sur la psyché couverte de buée et observe en grimaçant, son corps émacié se refléter dans le miroir. Pas de débauche d’une poitrine opulente, pas de hanches lourdes et charnues, juste un corps fluet et noueux.
En même temps je le comprends ce dit-elle, pas très attirante la fille.
Elle plonge dans le baquet profitant de cette sensation d’apesanteur et de langueur que lui procure l’eau brulante.
Elle enveloppe sa peau rougie dans une serviette et ce laisse choir nue sur son lit, sent monter en elle cette vague de chaleur que lui ont procuré ces ablutions.
Elle aime glisser dans cette sensualité dans cette engourdissement délicieux, elle observe un instant le plafond comme si elle y cherchait des réponses, sourit, jette la serviette au sol et s’enroule sous sa couette moelleuse.
Profiter d’une volupté solitaire, explorer les cordes sensibles d’un instrument intime aux multiples facettes et au plaisir divin. Se laisser engloutir ici, dans l’instant de la chaleur de son corps, de l’humidité d’une grotte vibrant sous les caresses de ses doigts délicats. Accepter l’indolence de gestes lent sur lequel le plaisir s’arcboute.
Battant au rythme de ses émotions, elle inonde dans un soupir une jouissance qui se révèle brutale, douloureuse, incisive. La laissant surprise et fourbue. Étourdie par cette chute inattendue.
Elle se replie sur elle-même dans son cocoon, suspends sa respiration quelques instants à la manière d’un animal pris au piège.
Désarçonnée elle en observe la source... Essuie une larme.
A suivre...
CB

III
La lune est pleine et vaporeuse en cette nuit froide et étoilée.
L’astre éclairé pose sur son iris absinthe des rayons froids et argentés, le laissant absorbé par le silence et la pénombre.
Aussi défiant soit-il envers ses émois, il n’échappa aucunement d’y plonger avec sincérité l’espace de quelques instants, comme on le fait parfois par nécessité, ou par accident.
Un si doux accident, cette si charmante catastrophe… Dès lors qu’il s’agissait d’elle, son champ lexical oscillait entre une tactique de combat, et la recette d’un mets délicieux.
Il faut dire qu’elle avait le talent des âmes belliqueuses.
Gardant le poing de son charmant bourreau entre ses mains calleuses, il se remémore la première fois qu’il avait croisé son regard.
Une soirée d’été, un ennuyeux concert de piano en plein air, un jeu de regards, de l’audace, un verre accepté, une robe si fine, une bouche si gourmande, des gestes si fluides. Elle l’avait enivré et il était alors loin d’imaginer combien ce doux regard et cette silhouette séduisante allaient le dérouter.
Tiraillé de tous bords entre des pensées lascives et une raison inflexible, la bataille en lui faisait rage.
Mais cette nuit, il ne céderait ni à son petit manège séduisant, ni à ses pulsions charnelles, même pour un court instant.
Il s’avait qu’il allait juste profiter de ces quelques heures de répit nocturne qu’elle venait de lui dérober pour tomber les masques, pour détendre son visage et adoucir ses gestes, laissant aller ses pensées, ses palpitations.
Pas de combat, pas de bras de fer, juste se laisser aller avec douceur.
Chérissant qu’elle puisse avoir un sommeil si lourd ce soir, il s’offrit à loisir de la bercer contre lui. Humant l’odeur de son cou, goûtant discrètement du bout de sa langue la peau de ses épaules, observant ses seins délicats disparaître sous le duvet.
S’attendrissant d’observer la douceur de ses traits, souriant de ce qu’ils puissent cacher un caractère si tempétueux.
Surtout, ne pas la réveiller, la laisser glisser dans ses songes, par crainte, par défiance, pour ne pas lui donner ce qu’elle voulait.
Que voulait -elle, d’ailleurs ?
La nuit était encore dense quand il choisit de quitter le lit. Il se glissa hors de la chambre sans un bruit, prenant soin de la caler au chaud sous la couette
Vêtu d’un simple caleçon il se dirigea vers la cuisine, nullement gêné par la fraîcheur du chalet. Sa stature imposante, ses jambes puissantes et fuselées, tout en lui respirait la force et l’agilité. Le contraste de ses yeux si doux et de sa corpulence athlétique lui donnait un charme fou.
Il se savait séduisant et en abusait parfois, souvent même.
Il actionna le percolateur en passant une main distraite dans sa tignasse d’ébène et resta impassible, les yeux dans le vague, fixant le nectar sombre qui coulait dans sa tasse.
Son attention fut attirée par un bruit de grattoir sur le rebord de la fenêtre.
Popeye… !
Le chat manifesta dès son entrée son mécontentement par des gestes brusques et des petits cris agacés.
« La garce, elle t’a laissé dehors, ma boule de poils ! T’inquiète mon gros, je t’ai vengé, il faut qu’on soit solidaires entre mecs, sinon à quoi bon. »
Peu rancunier et après quelques caresses, le chat prit la direction de l’escalier qui montait à la chambre.
Il lui lança un regard noir et lui chuchota d’une voix grave
« Popeye, ne va pas me la réveiller ! »
Le chat s’arrêta au milieu des marches comme s’il avait compris le message de son maître et émis un minuscule miaulement d’approbation avant de reprendre son ascension.
Il ne lui fallut guère qu’une vingtaine de minutes pour se préparer à affronter le froid de cette matinée.
Il avait rendez-vous avec un groupe de touristes qu’il devait emmener faire une randonnée. Des gens aguerris qui n’en étaient pas à leur première sortie. Malgré cela, en observant le manteau neigeux, il comprit assez vite que la couche déposée il y a peu de temps et les variations de température des derniers jours allaient rendre la course assez dangereuse.
Il profita du trajet entre le chalet et le point de rencontre pour prendre la décision de modifier l’itinéraire du jour. Il se gardait la possibilité de prendre des risques uniquement quand il était seul.
Il huma l’air glacé, profita du silence enveloppant de la neige. La nature a la vertu d’éteindre les discours intérieurs.
Une journée sur son terrain de jeu favori, une soirée entre amis au pub. Le timing était parfait pour oublier cet incident nocturne.
Il aimait à s’anesthésier, à se perdre dans les méandres d’un fût de bière, dans les vapeurs distillées de la badiane, dans la fumée âpre du chanvre.
Enfouir son tempérament sensible et perméable au moindre bruissement de vie, l’enivrer pour lui ôter l’envie de crier sa véritable nature, le ligoter pour qu’il ne révèle ses fragilités, ses doutes.
Lui lever la parole comme on le fait d’un ami qui nous a trahi.
Dressant ainsi des remparts à l’intérieur desquels il aimait à se réfugier.
Et recouvrir les fortifications d’une assurance constante, d’une humeur joviale, accommodante qui découragerait les plus téméraires d’en douter.
Fidèle à ses habitudes, la journée au grand air fit place à une soirée enivrante.
A la sortie du bar, au beau milieu de la nuit, il décida de rentrer chez lui à pied. Il avait besoin de prendre l'air, de s'évader.
Ses pas guidés par une force invisible l’avaient déposé tel un funambule devant le seuil de la maison de son bourreau. Hagard, embué dans les vapeurs d’alcool, insensible aux froids de cette nuit, il s’assit sur le perron.
Il s’observait avec l’acuité d’Ulysse allant de Charybde en Scylla, pensant qu’il devait faire un choix. Là, maintenant.
Que ce choix lui ôterait soit sa liberté, soit la douceur de cette amante. Peut-être même, pourrait-il tout perdre. À aucun moment il ne lui sembla qu’il pourrait aussi ne rien gaspiller et cultiver une pensée nouvelle.
Sa maison était une minuscule demeure de village attenante à sa librairie. Elle ressemblait à une maisonnette de poupée.
Sans même chercher à se mettre sur ses jambes, et car sa grande stature le lui permettait, il étendit le bras et actionna la sonnette. Il dut recommencer l’opération plusieurs fois avant d’entendre du bruit à l’intérieur de l’habitation.
Ce fut d’abord la truffe du chien collée sous la porte qu’il perçut. Son chien était définitivement plus drôle et plus accueillant qu’elle, se dit-il en souriant.
Puis il devina le bruit des clefs, elle semblait batailler avec l’ouverture de la porte, il l’entendit maugréer. La poignée s’abaissa alors dans un mouvement d’hésitation, et la surprise s’imprima sur son visage embué de sommeil.
Elle se mordit les lèvres pour masquer sa surprise mais se ressaisit rapidement.
Le foudroyant du regard et lui balança un « qu’est-ce que tu fous là, toi ? Tu m’as l’air encore bien imbibé…»
Toujours un mot aimable, une parole douce pensa-t-il en souriant.
Il ne répondit pas, conscient que ses maladresses n'étaient rien de plus qu'un bouclier.
Il prit alors l’attaque verbale pour une invitation à entrer.
Seul le cabot semblait heureux de le voir et s’agitait pour lui quémander une caresse.
Parfaitement consciente d’agresser son visiteur nocturne, elle se décala légèrement de l’entrée, la main toujours arrimée à la poigner.
Elle semblait effarée, comme si elle était étrangère aux effractions nocturnes.
Il la prit par les épaules, elle émit un petit cri en même temps que son corps semblait se dérober sous son poids.
Il capta au fond de ses yeux cet éclat sombre, triste, qu’il détestait. Percevoir en elle cette fracture le mettait mal à l’aise, elle lui faisait sentir une culpabilité qu’il ne parvenait à comprendre ni à identifier. Ce fragment grave venait s’aimanter dans un recoin de son être et lui faisait ressentir une brève décharge dont l’origine lui était étrangère.
Souvent, il lui avait demandé ce qui se passait alors en elle. Il n’avait jamais récolté qu’un regard assassin ou une larme.
C’était ces minuscules instants qui le faisaient basculer, qui ordonnaient en lui le repli.
Une fraction de seconde qui l’invitait à fuir, qui le plongeait dans un mutisme.
Mais cette fois, il n’eut pas le temps de réagir, instinctivement elle se déposa contre son torse dans un soupir. De tout son poids, le front enfoui. Il s’amusa alors de voir l’émotion battre ses tempes, de sentir son souffle s’accélérer.
Sa chemise de nuit si fine laisse apparaître le soulèvement suave de sa poitrine, ces hanches fines, la peau tendre de son ventre.
De ses deux mains toujours arrimées à ses épaules et sans un mot, il la soulève d’un geste brusque pour l’asseoir sur le rebord du plan de travail de la cuisine. Elle ne bouge pas, le dévore des yeux.
Elle laisse échapper un bâillement en même temps qu’un frisson la parcourt.
Nullement irrité par cette manifestation spontanée et naïve, il sourit et se rappelle combien il aime lui faire l’amour au réveil, quand son corps chaud est encore engourdi par le sommeil.
Il glisse alors sans lâcher son regard, une main sous sa chemise et agace les petites mures dressées contre son visage. Tandis que son autre main s’engage sous ses fesses.
« Oh, non, non, non » Elle proteste en se dandinant.
Il arrête son geste, amusé, la regarde. Elle grimace en fuyant son regard et l’attire à elle en s’agaçant sur sa veste polaire.
Elle manifeste avec véhémence son impatience en tapant ses talons de dépit contre le rebord des tiroirs de la cuisine.
Après un combat acharné avec les couches de textile, elle observe son torse nu, satisfaite. Parcourt du bout des doigts ses flancs, arbore un sourire ravi dès lors qu’elle le voit frissonner, qu’elle voit la chair de poule accourir comme une vague sur ses hanches.
Les joues en feu, elle picore sa peau de minuscules baisés, tel un moineau affamé.
Il se détache de ses lèvres pour coller les siennes sur son ventre. La savourer lui procure une ivresse depuis laquelle il perds pieds. Il déguste ses lèvres renflées de désir, les écarte comme un coquillage, titillant la petite perle rose et nacrée, tout en l'observant du coin de l'oeil. Ne pas lui offrir le plaisir de jouir si facilement...
Il se redresse et la regardant droit dans lui yeux lui balance d’un regard amusé ;
« Suce-moi et tortille ton petit cul »
Elle pousse un cri de surprise, sourit amusée et pointe vers la chaire tendre de son bras son pouce et son index comme pour le pincer en signe d'indignation.
Il éclate de rire, et, en voulant échapper à la tenaille rageuse, l’entraîne dans une chute sur le sol de la cuisine.
Quelques instants s'écoulent silencieux et graves ou chacun se perds dans le regard de l'autre. Lui perçoit très vite qu'elle est au bord de sombrer dans une litanie intérieur. Il lui sourit depuis son coeur, l'embrasse, et la soulève d'un bras, la bascule sur son épaule en la retenant par les fesses feignant de la mordre et laissant glisser ses doigts dans cette fente si douce et humide. Elle se débat sans conviction et se laisse porter à l'étage.
Chutttttt, laissons les alors tisser leur toile.
Laissons les laisser se débrouiller un peu ces deux là. Ils ont l’air butés et ça risque de leur prendre un fichu temps pour s’accorder.
CB
Cap ?