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Le gout étrange du bonheur




Je rêvasse, les pieds sur le tableau de bord. Pour une fois je n’ai rien à penser, rien à faire. Juste j’observe la route défiler, j’observe les dangers et l’anticipation de l’homme derrière son volant. Il est de ces hommes à qui je ne demanderai pas de philosopher. Non pas qu’il n’ait pas une vision pertinente du monde, non loin de là. Juste il méconnait tellement l’acuité qu’il porte sur le monde que son insécurité, ses vacillements m’agacent.

Il est de ceux à qui l’on demande de couper des arbres pour les nuits froides de l’hiver, de chasser du gibier pour les jours maigres et puis de conduire pour voir du pays. Il fait ça si bien… Et moi à cet instant, je n’ai besoin de rien d’autre. Peut-être même que je n’aurais jamais besoin de rien d’autres que de ce confort dans lequel je me love. Son contact est reposant. Je lui ai dit. Il m’a répondu en souriant qu’il savait. J’ai trouvé ça si présomptueux. Alors je me suis enfoncée encore un peu plus dans le mutisme.

Je vois son regard se poser sur moi parfois, discrètement. Je l’ignore, volontairement, ne lui offrant aucune possibilité de m’adresser la parole. Je fais ça si bien… Car ce matin je n’ai pas envie de parler, juste de rester dans cette bulle, dans ce luxe si rare dans ma vie.

Il brise le silence, avec la même maladresse qu’un daron face à son adolescente mutique. Y a aussi quelque chose comme ça chez lui.  Imperceptiblement mon corps se crispe, je soupire, tente une réponse évasive, un peu cinglante pour le dissuader de poursuivre cette conversation. Rien n’y fait, imperturbable il continue de me parler, impassible face à mes railleries. Je ne me souviens pas du contenue balbutiant de cette conversation. Juste de l’énergie que j’ai pu mettre à l’étouffer, en vain. Et pourtant, je suis reine dans l’art de la joute verbale. Lui non, mais il continue, acceptant les mots qui blessent. Il finit par le dire :

« C’est méchant ça… »

Je crois que c’est là, avec ses quelques mots que tout à commencer. Il avait trouvé l’interrupteur. Je me suis redressée comme enfin piquée par l’intérêt.

« Méchant gentil, bon mauvais, bonheur malheur… Tu penses vraiment que « ça » existe d’une façon si binaire ? »

Il était venu chercher ma déconstruction du monde, l’origine de mes méfiances, de mon regard de biais sur les agissements mielleux des gens qui trompent. Il est venu toucher la petite fille aux parents si parfait, si bon, si gentil, que le monde n’avait aucune raison de penser que des ombres malveillantes planaient sur l’enfant.

Moi qui depuis, ne suis pas une fille gentille. Moi dont on ne dira jamais que je suis aimable au premier regard. D’ailleurs l’homme me l’a dit :

« Tu gagnerais à être plus souriante et moins revêche au premier coup d’œil. »

Je gagnerais quoi d’ailleurs ???

A emprunter une fausseté sournoise qui manipule, qui trompe.

Alors il est question de ce qu’on laisse paraitre en surface, de ce qui ronge l’intérieur.

Alors nos croyances s’entrechoques…

 

Le flot des paroles c’est envolé, il a alors souri, satisfait. Le ton est monté un peu comme une tempête qui vient du large. Une petite voix à l’arrière c’est élevé ;

« Arrêtez de vous disputer tous les deux, faites-vous un câlin ! »

Là c’est moi qui ai souri. Il venait de marquer un point.

Je ne sais pas ce qu’il attendait de cette conversation. Consciemment rien. Et pourtant …

Elle fut le théâtre de controverses, d’agitation de fuite… A la manière d’une tornade qui soulève les tapis laissant au grand jour les débris de ce qui est cristallisé en chacun et que l’on ne souhaitait pas exposer au regard du monde. L’insignifiant échange avait ébranlé le regard que chacun porte sur l’autre. Le fragilisant ou le renforçant… Selon là où chacun se situait à cet instant précis.

 

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, c’est parfois à cela que ressemble le gout du bonheur.

 

 

 
 
 

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