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Pénétré et pénétrant

Dernière mise à jour : 12 janv. 2024



Lettre ouverte aux hommes…

Je vous observe, je nous observe, et j’éprouve parfois une pointe de jalousie à votre égard.

Eh oui, j’envie votre capacité à cliver, à compartimenter vos relations sexuelle, amicale, et amoureuse. Je ne suis pas toujours persuadée qu’elle soit le reflet d’un équilibre psychique des plus sains, mais elle a le mérite de donner de la légèreté à votre vie.

Alors que moi, pendant ce temps, je rame consciencieusement en souhaitant tendre vers plus de détachement.

Bien qu’issue d’une génération ayant le cul entre deux chaises, je me suis, il me semble, assez bien intégrée aux changements, à notre émancipation.

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être féministe, mais peut être que cela tient au fait que j’ai une image du féminisme comme d’un concept d’hystériques à poil qui se font arrêter par des flics goguenards au cœur d’une manifestation de hippies cradingues et drogués. Certains clichés ont la vie dure…

Ce qui ne m’empêche pas d’avoir à cœur de faire partie des femmes qui, par leurs attitudes et leur autonomie, font évoluer les mentalités. J’aime l’idée d’incarner le changement.

Mais là, pour ce qui est du vécu de la sexualité, je me confronte à un os…

Alors, après avoir passé un temps infini à observer ma construction, avoir décortiqué mes blessures, confronter mes attentes,

Après vous avoir observés, échangé avec vous, tenté d’apprendre de vous, j’avais parfois le sentiment de pouvoir évoluer dans ma sexualité avec plus de légèreté…

Puis, immanquablement, et assez rapidement, un sentiment grave me rattrape…

Nos échanges au cœur des sororités me confrontent à cette même limite. Nous avons en tant que femmes, une considération et une implication dans la relation sexuelle qui est différente de la vôtre et qui semble nous priver d’une certaine insouciance.

Force est de constater que j’ai omis de prendre en considération des paramètres dans cette histoire…

Alors je me gratte un peu la tête pour tenter de comprendre…


J’essaie de balayer les notions et postulats que je connais afin de comprendre ce qui rend notre perception de la sexualité si différente pour nous, les femmes, de votre perception à vous, Messieurs.

Le premier postulat qui me revient en mémoire semble éclairer en partie cette approche austère que nous avons de la sexualité et il est assez désagréable.

De nombreuses études montrent que les femmes ayant subi un viol et des violences physiques n’ont pas eu dans leur enfance une construction suffisamment solide de protection de leur corps et ont une propension à se positionner en victimes. Aussi, cette attitude autorise tacitement un agresseur potentiel à abuser d’elles.

Une part de responsabilité dans le viol par un positionnement de victime induit par une construction défaillante…

J’ai entendu cette théorie il y a une vingtaine d’année pour la première fois, elle a généré beaucoup de colère en moi, d’autant que l’amie psychologue qui m’avait fait part de ce dysfonctionnement avait enfoncé le clou en précisant que s’opérait une reconnaissance des deux parties instantanément même au milieu d’une foule, l’agresseur ayant développé une capacité à détecter les victimes potentielles.

Difficile d’accepter que nous puissions induire une agression par le fait d’avoir une capacité défaillante à protéger notre corps, à fuir, ou à mettre en fuite.

Et puis en quoi cette notion de psychologie, qui ressemble plus à un détail et à une exception, conditionnerait « notre » vécu de la sexualité ?

Un épisode de ma vie me revient instinctivement en mémoire. Je dois avoir une dizaine d’année, ma grand-mère me confie de déposer des œufs à un oncle qui habite au bout du village, j’aime aller chez lui, c’est un vieux garçon célibataire qui a toujours été très gentil avec moi. Jamais d’incident jusqu’alors, d’ailleurs je n’avais aucune notion jusque-là de ce qu’était un incident…

Sauf que ce jour-là, un jour pas fait comme les autres, j’ai découvert en moi un instinct de survie qu’il me fut incapable de nommer, de comprendre, d’identifier.

J’ai juste senti l’odeur du danger et je me suis découvert un talent pour la fuite et pour le cinq cents mètre haies qui aurait mérité de me faire gagner une place aux JO !

Il me reste de cette expérience, un sentiment de fragilité, de honte, de responsabilité et un léger trauma même si le seul événement marquant fut la perspective du danger.

Imaginez comment, à dix ans, l’attitude d’un homme peut commencer à vous faire éprouver de la culpabilité à devenir féminine, fine et fragile. Et ce n’était que le début. Loin de moi l’idée d’exclure que les hommes puissent vivre ce genre d’expérience. Mais Messieurs, j’imagine que vous en conviendrez, vous ne vivez pas en subissant les regards insistants, les mains aux fesses, les paroles graveleuses. On ne vous vomit pas non plus notre désir sur les pompes sans y avoir été invitées. Et vous ne vivez pas sur le qui-vive permanent d’un danger potentiel, enfin il me semble…

En filigrane apparaît la nécessité pour une petite fille de développer très vite un instinct de protection de son intimité. Et alors je comprends mieux pourquoi je suis touchée par ce détail. Ce qui peut expliquer partiellement de notre part, une retenue, une gravité, une hésitation dans les premiers instants d’une approche sexuelle. De suite l’acte sexuel est en partie associé à la potentialité que vous nous voliez quelque chose… Mais quoi et pourquoi ?


Un deuxième postulat qui me vient à l’esprit parle de la notion de genre.

Je me souviens alors d’une phrase lue il y a quelques années, et qui m’avait beaucoup interpellée. Elle tourne souvent dans mon esprit dès lors qu’il est question de parité, d’égalité entre les hommes et les femmes. Cette phrase a le chic de clore en moi tout débat sur le féminisme ou la notion de genre.


« Certes, les femmes regardent les hommes aussi et les hommes regardent les hommes, et les femmes regardent les femmes… Mais le regard de l’homme sur le corps de la femme a ceci de spécifique qu’il est involontairement, inné, programmé dans le disque dur génétique du mâle humain pour favoriser la reproduction de l’espèce, et donc difficilement contrôlable. Ses répercussions sont incalculables, et très largement sous estimées. »

Reflet dans un œil d’homme ; Nancy Huston.

Nous sommes proches de la première idée, au détail près de cette notion de genre. Au-delà du conditionnement de la société, d’une éducation, d’un trouble psychologique, il persiste un « truc » contre lequel nous ne pouvons rien. Un « truc » qui semble ériger entre vous et nous des murs infranchissables, qui nous donnerait à penser que jamais nous ne parviendrons à nous comprendre, et qui conditionnerait aussi une approche de la sexualité qui nous éloigne immanquablement ; la génétique, les hormones, l’anthropologie, la notion même de genre. Comme une impossibilité de nous rejoindre.

Mais à elles seules ces deux notions ne répondent que partiellement à mon questionnement. Alors je me rescentre sur la mécanique de l’acte sexuel.

C’est là que survient l’idée récurrente et relativement banalisée de l’image que l’on a de la sexualité,

La pénétration !!!

Comment je n’ai pas de suite commencé par là …

Ce simple constat pose un point de départ assez net de nos différences de compréhension les uns des autres.

Comme si… D’ailleurs je ne devrais pas dire 'comme si', mais 'car' nous avons des différences anatomiques qui conditionnent notre sexualité

Il y a quelque chose dans nos fonctionnalités qui diffère au point de rendre nos perceptions et nos attentes différentes.

Et si ce cette différence fonctionnelle et donc anatomique induisait quelque chose au travers de l’idée de la pénétration.


Reprenons alors ce mot sur le simple plan de sa définition et de son étymologie

Définition du Larousse ;

Pénétration :

Emprunté au latin. Pénétrationis : action de percer

Action de s'introduire dans un lieu, d'entrer dans un territoire : La pénétration ennemie dans nos lignes.

Synonymes : Incursion, infiltration, intrusion, invasion…

Hummmm ça commence mal…

En défense : Faculté de pouvoir se livrer à des actions en territoire ennemi malgré ses défenses.

Pour une force nucléaire stratégique, aptitude à déjouer les moyens défensifs de l'ennemi.

Pour un aéronef, un missile tactique ou stratégique, action de pénétrer à l'intérieur d'un dispositif ennemi défendu.

Historiquement « faculté de saisir profondément le sens des choses » (Guez de Balzac)

Je pense qu’avec tout ça, on a saisi l’idée centrale…

C’est un mot qui est empreint d’une connotation intrusive, il vient nous parler de conquête de territoire. Tiens donc…

Et finalement, à bien y réfléchir, ça rejoint les postulats de départ selon lesquels nous sommes en tant que femmes conditionnées à nous protéger, à développer des trésors d’ingéniosité pour nous défendre, vous faire fuir, que la relation nous convienne ou pas, le tout en ayant parfaitement conscience que nos envies bien que communes d’égalité et de parité sont entravées par une épée de Damoclès qui se joue de notre envie de légèreté, et qui nous donnent le sentiment d’être traquées.

Car pour nous, femmes, il n’est pas question que vous pénétriez une cavité vide, non habitée, il n’est pas question d’un trou, d’une vacuité, il est question d’une grotte habitée et sacrée, il est question d’un territoire, de vous céder du terrain, de vous faire profiter de notre lopin de terre.

Et il y a vraiment dans notre chair un paramètre de cet ordre qui se joue en nous dès lors que nous envisageons cette pénétration.

Il y a une partie en nous qui accepte le partage, la cohabitation.

Dès le départ nous sommes dans l’idée de vous faire une place et de perdre notre unité.

Une part grave et consciente qu’il nous est très difficile de mettre de côté. Par expérience, on sait que ce partage de territoire aura une répercussion, bonne ou néfaste, sur la perception de nous-même. On se pose irrémédiablement la question de comment allons-nous retrouver notre unité après cela.

Imaginez, c’est un peu comme quand on invite chez soi.

Est-ce que l’autre prendra le soin d’ôter ses chaussures, prendra-t-il soin de la décoration intérieur, aura-t-il la délicatesse de mettre la main à la pâte ? Et qu’en sera-t-il quand il partira, nous laissant les vestiges de son passage ?

C’est un peu ça, le sentiment en fond.

J’adorerais être une simple visiteuse, avoir mon sac à dos et barouder au gré de mes envies. Sauf que je joue à domicile.


Alors est-il possible de débrancher notre cerveau et perdre de vue cette notion de devoir vous céder une parcelle de notre être ? Et il possible que nous puissions ensemble réinventer la sexualité, les codes qui la régissent. Pouvons-nous sortir ensemble de la notion galvaudée de l’amour, et aussi entendre combien il est bon de s’aimer, pour un jour, une semaine, une vie ?

Je suis une fervente utopique et j’aime à penser que c’est possible dès lors que nous sommes en confiance, avec nous-même, avec vous.


Alors, message aux conquérants de terres convoitées, qu’elles soient privées, publiques, fertiles, stériles, cultivées, en jachère, connues ou inconnues : prenez soin d’entendre que nous avons, de par notre physiologie, une perception de la sexualité qui parfois vous mettra en déroute, vous induira en erreur. Et au final, c’est parfait ainsi.

On aime plus que tout voir briller la fascination et la curiosité que nous vous inspirons.

On vous dira parfois droit dans les yeux combien vous êtes égoistes. On vous blessera sans doutes. N’y voyez pas là un jugement, un manque d’envie. Percevez juste cette infime différence qui fait que parfois nous vascillons sur notre socle à donner et nous reconstruire continuellement.

Et n'oubliez jamais combien on vous aime.

Vous avez une incroyable faculté dans la lecture des cartes, nous avons une pleine conscience du territoire. Peut-être par ce que que nous sommes le territoire.



 
 
 

3 Comments

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benoitfoucher
Jan 29, 2022

Beaucoup de choses me reviennent en mémoire à lire ces réflexions. Parmi celles-ci: - une des choses qui m a énormément étonné dans mes 1ères relations: la plupart des femmes que j ai attirées avaient eu dans leur parcours un oncle, un cousin, un grand père, un "ami" ou un inconnu qui avait créé un traumatisme chez elles. Bref, il y a de la place pour qu on (hommes et femmes) progresse sur ce sujet, c'est clair...

Je pense que dans l'idéal ça passe par l'éducation, et pas seulement. Mon plus bel espoir sur ce sujet serait d avoir des groupes comme le mankind Project, où tu sens une fraternité entre hommes qui fait que tu sens que tu n…

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cecileboffy
cecileboffy
Feb 01, 2022
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Merci pour ton témoignage Benoit, il est précieux. On a du boulot en effet, mais c'est ça qui rends l'aventure aussi palpitante.

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noemiedonque
noemiedonque
Jan 27, 2022

Loin d’un discours féministe, ce texte replace simplement la réalité de notre anatomie et permet de mettre des mots sur nos maux, sur la petite voix qui nous chuchote dans le coin de l’oreille que malgré le plaisir que l’acte sexuel produit, il y a ce quelque chose qui se passe en nous… en effet, ce « petit lopin de terre » que nous partageons et qui mérite considération.

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