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Se mettre à nu

Dernière mise à jour : 20 déc. 2022


Crédit photo @laurenterrigeol

https://laurenterrigeol.com

Au premier plan, se mettre nu…

Loin d’être un exercice aisé, il n’est ni une valorisation égotique, ni une pratique d’exhibition.

Il est l’occasion d’aller au plus près de soi.

Exposer au regard de l’autre le façonnage sur le corps des évènements de la vie.

Offrir de soi avec honnêteté.


J’ai longtemps considéré mon corps comme trop encombrant dans la matière. Il était un frein à un esprit si peu incarné. Il plombait mes envies d’évasion, de disparaître dans un bruissement de soie.

Alors je l’ai utilisé tel un outil au service de cette être éthérée que j’étais, il fut le siège de beaucoup de souffrances, le théâtre de bien des expériences. Je lui ai fait subir sans ménagement les exigences drastiques de la danse classique, je l’ai meurtri, affamé, détesté, humilié. Je l’ai fait ployer sous les exercices et les contraintes jusqu’à ce qu’il cède et obéisse docilement pour paraître tel que l’image de mon art l’exigeait. Brisant les lois de la physiologie et quelques phalanges.

Je vivais dans ma tête et projetais sur lui des espoirs, des fantasmes.

Je disséquais, morcelais mon corps de façon chirurgicale et désaffectivée. Enfin, désaffectivée en apparence, car il faudra payer un jour le prix de cette dislocation.

À l’évidence, le corps n’éprouve pas de rancune ni de jugement face à la dissociation que nous nous infligeons, il se contentera d’être un miroir, et il tentera inlassablement de nous rappeler que nous vivons le mouvement et la conscience du monde à travers lui, dans l’instant.

Par salves, il offre quelques instants précieux, saisissants, tantôt lumineux tantôt plus sombres, des moments de grâce qui rassemble le corps et l’âme, qui s’inscrivent dans notre histoire, nous ancrant dans l’ici et maintenant.

Les premières petites morts, la vie qui grandit en soi, qui parfois s’éteint trop tôt et qui plus tard offre de s’épanouir, nourrir son enfant, marcher sur le toit du monde, méditer dans le froid cinglant, partir en lambeau, renaître au décours d’une rémission.

Autant d’expériences qui façonnent le corps, allument une petite flamme à l’interne, éveillant doucement notre boussole intérieure.


Raccommoder les deux parties demande de prendre conscience de notre propre corporéité, mais en premier lieu, ce n’est pas ce qui se passe.

En effet, dans un premier temps, on prend conscience du regard que nous posons sur le corps de l’autre.

Étape un peu étrange que de se rendre compte que nous sommes malhonnêtes vis à vis de nous-même et vis à vis de l’extérieur, voir que nous sommes dans le jugement du corps de l’autre que l’on trouvera trop gros, trop maigre, trop parfait.

Observer que l’on opère une projection à l’extérieur, alors que nous nions notre propre chair, que nous sommes en errance, l’esprit hors de notre corps à la manière d’un ballon de baudruche qui plane au-dessus, sans réelle conscience d’habiter la matière.


Percevoir également que nous sommes aux prises des dictats de notre société, alors même que nous avons de formidables théories sur le sujet et une volonté incroyable de sortir du conditionnement, mais dans les faits…

Alors, petit à petit, le regard que l’on porte sur l’autre s’adoucit, passant du jugement à l’observation curieuse, cherchant à voir ce qui se cache en dessous. Un peu comme de passer d’une lumière aveuglante à la douceur de la pénombre où l’on cherche à percevoir.

Comme un changement de paradigme.

Un tâtonnement, de la curiosité, des interprétations parfois bien maladroites, mais au moins un début de regard plus juste. La naissance de la bienveillance.

Se mettre à la place de l’autre demande d’observer plus en détail, de forcer le regard au-delà de la surface, creuser dans les sillons de la peau, du regard, d’un repli et se sentir toucher par les failles.

La beauté d’un corps, c’est avant tout la beauté d’un être, son éclat, sa fragilité, son histoire inscrite en filigrane de sa surface corporelle.


C’est probablement par ce regard adouci porté sur l’autre que j’ai commencé à recoudre mes parties. Comme un processus magique, plus j’habite mon corps et moins mon esprit se disloque, moins il se raconte des histoires, plus il cherche de la cohérence.

C’est un sentiment très étonnant, comme si une fois à sa place, bien installé dans son enveloppe, l’esprit respire et cesse de s’égarer à l’extérieur, il éprouve même une flemme à ressortir, au chaud à la maison. il cesse alors de s'excuser d'exister, laisse partir les gens qui doivent partir, et accueille étonné de nouvelles âmes sur le chemin.

Ce processus invite à prendre soin du corps, plus que jamais probablement, et il n’exclut pas de conserver des chamailleries enfantines sur de la cellulite réelle ou imaginaire, ou de dire à l’autre qu’il file du mauvais coton avec son corps, mais avant toutes chose il invite à l'indulgence.


Alors poser nue, c’est accepter d’offrir une partie de soi figée dans le temps, un arrêt sur image qui représente une fraction infime de qui l’on est.

Il devient un superbe souvenir, une porte entrouverte sur notre intériorité, il fait réellement partie de soi.

Le regarder, l’observer avec la distance d’un spectateur aide à intégrer qui l’on est au travers de l’image que l’on renvoie.

C’est aussi un peu un jeu. Avoir conscience qu’il reste en soi tellement de faces cachées que celui qui s’arrêterait sur cette simple image serait bien pauvre de considérer que l’on n'ait que cela à offrir. C’est un instant réel et fugace qui n’est rien au regard des trésors et des secrets qui nous habitent.

Une espièglerie où l’image à ses codes, au même titre que l’écriture est construite en strates, il y a ce qui est vu de tous, ce qui est offert à certains, et ce qui n’est perceptible que de nous-même.

La photo de ce corps nu appartient déjà au passé, elle n’existe plus, alors accepter de se mettre à nu, c’est accepter l’impermanence, ce qui est aujourd’hui ne sera plus demain, et c’est aussi la permanence d’une volonté à tendre vers plus d’authenticité et de transparence.

Vivre avec l’insouciance et la légèreté des enfants, mais aussi la conscience et la gravité des embûches qui ont cabossé nos vies.


Se mettre à nu, c’est un peu comme se tenir debout à la proue d’un bateau, on est exposé aux éléments, aux mouvements, au temps, aux jugements.

C’est cet équilibre fragile où cohabitent le statique et le mouvement.

C’est organiser de la cohérence entre son corps et son âme, entre l’extérieur et l’intérieur.

Finalement, être le reflet de ce qui nous anime.

C’est cesser de se dévoyer, accepter de se dévoiler, et garder le cap.


« Se mettre à nu » deviennent alors quatre petits mots aussi doux qu’une promesse amoureuse. Rappelant le souvenir frais d’une conversation printanière emplie de promesses et d’une fébrilité palpable.

Et se demander dans un vertige « où cela va-t-il nous mener ? »

Peu importe, tant que nous y allons main dans la main.

Main dans la main, corps et âme.


CB



 
 
 

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